Par
SOUKSI Ezékiel*, en collaboration avec MOUNTCHI Gilbert*
Cet article a une vision anthropologique. Il fouille dans la culture du peuple lamé, appelée sous d’autres cieux pévé. Il essaie d’investiguer sur les rites traditionnels dudit peuple en ce qui concerne les cérémonies dédiées à l’accompagnement d’un mort vers le pays de l’au-delà. Il s’attarde sur les obsèques, le deuil et les funérailles.
« Il n’ya pas de culture sans peuple, ni de société sans culture », déclare Irina Bokova, dirigeante de l’UNESCO, (2009). Et à Frederik Jézégou, dans Dictionnaire de citations, SAS de renchérir « un peuple sans culture est un peuple sans âme». (2012).
Évidemment, l’âme d’une société, d’un peuple, réside dans sa culture et l’un des maillons essentiels de cette culture est le culte des ancêtres. S’il y a une vie, il y a l’après vie, la mort est la voie royale pour y accéder. La société lamé dispose alors des rites expiatoires, d’accompagnements des défunts vers cette après vie.
Ainsi, nous nous proposons de le présenter dans cet article.
Propos liminaires
Avant d’attaquer le thème principal d’étude à savoir « le culte des ancêtres chez les lamé », nous nous proposons de clarifier certains concepts ambigus qui peuvent prêter à confusion, afin de donner une orientation précise à cette réflexion, basée sur une enquête ‘’anthropologique’’ menée auprès des patriarches lamés et sur les documents glanés ça et là. Il aura fallu que l’on se posât des questions parmi lesquelles :
Qu’est-ce qu’un ancêtre ?
Albert De Surgy dans son ouvrage : le « culte des ancêtres » en pays evhé, 1975, Cahier 1 définit le terme ancêtre comme étant : « ce qui subsiste de la personne d’un défunt après qu’il ait été introduit, par les rites de funérailles au pays de ses ancêtres ». P. 105.
Dans ce sens, un ancêtre est une personne ancestralisée par les rites traditionnels sacrés. Une personne accompagnée par des pratiques culturelles traditionnellement entretenues vers le pays de l’au-delà. Dans une certaine mesure, l’ancêtre est considérée comme « un intermédiaire entre les vivants et la divinité », l’Encyclopédie des jeunes, Larousse, 1997.
En effet, « Après la mort physique, l’individu rejoint le règne des esprits, lequel n’est ni enfer ni paradis, mais un espace parallèle très proche de celui des vivants où l’âme continue d’évoluer au gré de ses qualités bonnes ou mauvaises », selon le Baron Perché.
À quoi renvoie le culte des ancêtres ?
Julien Bonhomme, 2008, écrit le culte des ancêtres renvoient aux : « rites propitiatoires que les vivants mettent alors en œuvre pour s’attirer les bonnes grâces des défunts » ; P.P 159 ; 168.
Il faut être très vigilant ici, car le culte des ancêtres n’est pas le culte des ‘’morts’’. Pour Kopytoff, 1971, cité par Julien Bonhomme, (up cite), le culte des morts suppose que les morts exercent une emprise sur les vivants. Les ascendants défunts sont en effet considérés comme des agents essentiels à la pérennité du groupe et qu’il faut par conséquent respecter.
On comprend avec aisance que le culte des ancêtres constitue des cérémonies cultuelles et sacrificielles qui ont pour valeur d’accompagner les défunts vers le pays des ancêtres, vers l’ancestralité, de libérer l’esprit du défunt du monde des vivants, d’invoquer l’indulgence divine sur le défunt et d’espérer la bonne grâce du défunt sur les siens, afin qu’il les laisse tranquille dans le monde visible.
A quoi renvoie le culte des ancêtres chez le peuple lamé ?
Le peuple lamé, géographiquement, a pour fief la région du Nord Cameroun et le Sud-Est du Tchad. Mais, avec le phénomène de mondialisation, ce peuple migre et parsème les pays d’Afrique, voire du monde en générale. Longtemps discret, à cause de sa tradition fortement orale, le peuple lamé se retrouve exhibé ; et pourtant pas de moindre à en croire les divers écrits, les reportages et documentaires médiatiques, ethnoculturels et anthropologiques.
La société lamé, de par son organisation politique est une société patriarcale comme la plupart des sociétés africaines, bien hiérarchisée et structurée avec à sa tête un chef appelé ‘’djə’’.
La question de mort et des cultes des ancêtres occupent une place importante dans cette société. À étudier sa tradition ancestrale, quoique flippée reste de mise dans certaines contrées lamé.
Pour le lamé la mort est un mystère qui transcende l’individualité biologique, comme le démontre cet extrait de poème de BIRAGO Diop (1961).
« Ceux qui sont morts ne sont jamais partis
Ils sont dans l'ombre qui s'éclaire
Et dans l'ombre qui s'épaissit,
Les morts ne sont pas sous la terre
Ils sont dans l'arbre qui frémit,
Ils sont dans le bois qui gémit,
Ils sont dans l'eau qui coule,
Ils sont dans la case, ils sont dans la foule
Les morts ne sont pas morts. »
Cependant, leur passage de la vie à l’au-delà mérite une vénération, une lamentation afin de leur accorder un repos paisible, ostentatoirement à l’annonce d’un décès : il s’agit alors de les ancestraliser.
Les types de mort dans la tradition lamé
Chez le peuple lamé, il existe trois types de mort : la mauvaise mort, la bonne mort et la mort noble. A l’annonce de la disparation d’une âme, la question évidente qui se pose c’est « quelle est la cause du décès ? Dans quelles conditions est-il mort ?
Ces interrogations sur l’origine et les conditions du décès servent à déterminer le type de mort, et l’avis des ancêtres sur la vie du groupe familial
La bonne mort
La bonne mort est celle d’une personne âgée, ayant une descendance considérable (fils, petits fils, arrière petits fils, etc.) Elle n’est pas une surprise pour le défunt car, celui-ci, est considéré comme un sage dans la société, ‘’une bibliothèque de la tradition’’ comme le dit Joseph KI-ZERBO.
En effet, chez le peuple lamé, la mort ne surprend pas un sage. Elle est donc anticipée et préparée par le défunt. Elle alerte l’esprit vivant du sage afin que celui-ci prépare les siens. Elle survint lorsque le sage est dans son lit d’agonie, entouré des siens. C’est le moment crucial où l’agonisant dicte sa dernière volonté, présente son testament de façon orale, choisit son héritier et impose sa main sur ce dernier accompagner des paroles de providence : une bénédiction ancestro-parentale.
Cette scène a une portée importante dans la famille : elle est une bénédiction qui jaillit sur le disparu et la famille ; elle attenue la douleur du détachement affectif entre le disparu et les siens ; elle présage le renforcement du lien avec les ancêtres. Le défunt a alors droit aux obsèques, et aux funérailles.
Hormis cette condition de mort, il s’git d’une autre mort.
La mauvaise mort
Toute mort survenue hors de la portée des siens, de façon mystérieuse, et à jeune âge est taxée de mauvaise mort, car prématurée, inattendue et admissible. Elle peut être due à une courte maladie, un accident, une agression, la main d’homme, ou le ‘’dlap’’ ; etc. Elle n’a pas laissé le temps au disparu de préparer sa progéniture et son départ vers l’ancestralité.
Dans ce cas, la famille fait appel aux gardiens de la tradition, les spécialistes des morts. Ceux-ci organisent l’enterrement hautement ‘’sacralisé’’. Ce qui pourrait couter très cher à ceux, ayant anticipé sa mort- les coupables-car, mystérieusement, ils vivront un éventuel malheur dans leur famille, ou une série de malheurs. Parce que « les ancêtres punissent, et ils punissent très mal lorsqu’on enfreint à leur volonté ». disait le bien heureux patriarche Kedaï Sey Liassoum.
A la mauvaise mort, s’assimile une autre, et non de plus gaie, celle dite noble.
La mort noble
La mort noble chez le peuple lamé n’est celle que subissent les personnes issues de la classe royale, encore moins de la classe sociale aisée. Loin de là, elle représente également celle d’un combattant, un libérateur. Car, les peuples lamé, de par leur histoire sont des vaillants guerriers.
Ceci dit, lorsque le sujet, guerrier décède lors du combat, ou lors de la libération d’esclavage ou d’otage, il est accompagné vers l’au-delà avec ses armes et une cérémonie particulière l’accompagne. Ici, l’on croit que ce dernier a une âme qui surgit toujours pour défendre les siens. Il combattra pour eux même à l’au-delà. Ceci, selon la conception du peuple.
Cette mort vénérée, a une valeur d’accompagner dignement le guerrier vers sa dernière demeure, à ne jamais perdre son esprit de combattant mais aussi, de doter les jeunes, d’un courage absolu, d’un esprit de défense de la communauté et de les libérer de l’esprit de la terreur. De perpétuer l’amour de leur communauté.
De l’inhumation aux obsèques dans la culture lamé
A l’annonce de la mort, une consternation totale s’affaisse sur le village. Toutes les activités sont aux arrêts afin d’assister la famille éprouvée, une marque de solidarité entre le peuple. La nouvelle est annoncée aux moyens de communication traditionnelle tels le tambour et la harpe s’il s’agit d’une tragédie royale : on dit ‘’ ya gu mbri bru si’’ (le baobab est tombé) et le tam-tam, la cloche et la transmission du message chagrin de bouche à oreille pour un ‘’corps’’ ordinaire.
Avant de continuer, il convient de signaler que les obsèques diffèrent selon les catégories sociales. Notamment s’il s’agit de la mort d’un nourrisson, d’un jeune homme, d’un adulte et d’un chef.
La mort d’un nourrisson dans la société lamé correspond à un retour soudain d’un enfant qui ‘’était venu voir le soleil’’. Son inhumation doit se faire à la maison, prêt de la porte d’entrée de la case maternelle.
Une fois sa mort constatée, l’annonce se passe, le peuple se rassemble au sein de la maison attristée. Quelques heures plus tard, les initiés s’occupent du corps, creusent la tombe à l’endroit indiqué ci-haut et mettent le disparu à une pression plantaire. Une fois enterré, une calebasse d’eau est aspergée sur la tombe. Croyance selon laquelle l’enfant défunt reviendrait très vite ou du moins pour donner la chance à la malheureuse mère de concevoir très rapidement un nouvel enfant, afin d’essuyer ses larmes.
S’agissant de la mort d’un jeune homme, l’annonce se fait par les mêmes canaux, mais à la différence du nourrisson, son corps est inhumé soit au caveau familial soit au cimetière du village.
Là, la tombe est cérusée à deux ou trois coudées environs de profondeur et une coudée de large, le corps du défunt est emballé, mis au fond, la tête tournée vers l’ouest, couché sur le flanc droit. Le père du défunt s’avance, projette une motte de terre, trois fois de suite sur le corps en prononçant quelques mots ; signe de bénir le chemin du disparu vers l’au-delà et de consécration à la justice divine, la cause de sa mort s’il s’en avère ainsi. Par cet acte hautement symbolique, il ordonne l’inhumation de sa progéniture.
Mais s’il s’agit d’une mauvaise mort, son enterrement se fait dans une stricte intimité familiale. Des rites sont effectués par des initiés, afin de consacrer le combat contre son bourreau aux ancêtres.
S’agissant de la mort d’un adulte, homme ou femme de rang social moyen, l’annonce du chagrin se fait comme la précédente, mais à la différence de l’inhumation.
Le corps de la femme est dressé et emballé dans un linge blanc, posé dans la tombe sur le flanc gauche, la tête orientée vers l’occident (ouest), signe de son crépuscule de vie. Tandis que celui de l’homme est posé sur le flanc droit, la tête est orientée vers le crépuscule.
Il faut cependant signaler que, celui qui indique l’endroit où la tombe doit être faite est un membre proche de la famille, -soit l’aîné de la famille, soit un oncle paternel ; toujours est-il qu’il doit être issu de la famille du défunt ou de la défunte. De même, c’est lui qui lance le premier coup de pioche à terre pour initier la tombe. Ce même proche est le premier à déverser la motte de terre sur le corps de son parent, de sa femme ou de son fils.
La valeur de ce privilège est que dans la tradition lamé, selon les principes ancestraux, l’enfant doit enterrer son père ou sa mère et non pas l’inverse. Et c’est exceptionnellement au garçon que revient ce privilège.
Une fois le corps du déchu enseveli, s’en suivent alors trois jours de deuil pour consommer cette carotte amère de la nature s’il s’agit d’un sujet du genre masculin, et de quatre jours pour un individu de sexe féminin. Pendant ces trois jours, hommes, femmes et enfants, du village ou les étrangers venant de loin doivent assister la famille meurtrie jour et nuit. Signe de solidarité et d’assistance morale, psychologique et matérielle dans la société pévé.
Le troisième jour, ou en tout cas le dernier jour d’assistance physique, tient lieu de ‘’jour du sacrifice’’. Une bête est immolée afin d’accompagner le défunt à sa dernière demeure et aux ancêtres de l’accueillir dans le monde de l’au-delà. Ce jour, la grande famille du défunt se réunit et décide du jour des funérailles. (Généralement, ce jour est choisi en collégialité et orienté vers la même période de l’année suivante). Si le défunt est un homme marié, ses veuves doivent être isolées le jour du sacrifice, ainsi que le veuf si son épouse venait à s’en aller. Ceci doit être strictement observé, de peur que le veuf ou la veuve ne consomme les produits sacrifiés. S’il s’avère que l’un ou l’autre le consomme, cela aura un effet néfaste sur lui. Il/elle pourrait devenir fou/folle ou à défaut attraper un trouble mental de façon systématique.
Une autre conduite à observer de façon stricte par le peuple en ce moment est la mise à l’écart discrète du village de tous les hommes ayant mis la main dans ‘‘la marmite capitale du défunt’’. Si par ‘’têtutesse’’, ou par ignorance, ils assistent aux obsèques, ceux-ci seront frappés d’une mort mystérieuse appelé ‘’dlap’’.
Entre temps, les femmes et les enfants du disparu se rasent le crâne, les femmes ne portent pas d’habits et marchent pieds nus, signe de tristesse, du désarroi et d’expression du malheur qui a frappé la famille. Elles doivent restés pieuses et meurtries par la disparition de leur époux.
De la fin de cérémonie des obsèques jusqu’au jour des funérailles s’observe un moment de deuil au sein de la famille. Les membres de famille restant sont soumis à l’obligation morale de prôner les valeurs telles que : la paix, la piété, l’harmonie au sein de la famille pour honorer la mémoire du défunt. Puis qu’en cette période, l’esprit du défunt plane toujours sur la famille. Il peut leur apparaître de temps à autre dans les rêves, les songes, etc. C’est la période du veuvage. Cet esprit déchu ou rappelé ne peut s’en aller de façon définitive qu’après les rites funéraires.
Des cérémonies funéraires (à suivre…)
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*SOUKSI Ezékiel est psychologue de l’enfant et du développement, spécialiste des sciences de l’éducation. Il est enseignant en service à l’ENIEG de Nkongsamba, professeur associé à l’école normale Catholique de la même ville.
*MOUNTCHI Gilbert est traducteur principal (anglais – français – langues africaines), historien, rédacteur web, réviseur et relecteur. Il est traducteur en service à ZET SERVICES IT (Douala). Il mène de nombreuses recherches sur la langue et culture lamé.
Merci brother. Main haute pour le travail abattu
RépondreSupprimerVraiment félicitations je veux donner ma vie pour notre culture aussi donc votre mon ancadrer
RépondreSupprimerVeuillez nous contacter par WhatsApp 694 95 83 52. Merci
SupprimerCe commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerTrés bonne recherche, félicitation a vous.
RépondreSupprimerContinuez!
RépondreSupprimerMerci de vos encouragements
SupprimerMerci de nous faire découvrir , c'est très intéressant
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