Par
SOUKSI Ezékiel et MOUNTCHI Gilbert
Avertissement : Cet article est la suite logique du précédent intitulé « le culte des ancêtres chez les Lamé ».
Les funérailles dans la société lamé marquent le moment de lamentations et de vénération de l’âme du disparu, de son passage de la vie à l’au-delà, au pays des ancêtres : on pleure le deuil ‘’cii mata’’. La cérémonie est grandiose et présidée par le roi ‘’djə’’ assistée du prêtre de la royauté ‘’Bəhua’’. Il peut déléguer une partie de son pouvoir à son premier ministre ‘’Djə-Gang’’ ou à un des notables ‘’Gang’’.
Les préparatifs des funérailles se font à l’échelle des mois, voire d’année (un an). A cet effet, on apprête de la nourriture, du breuvage, de la logistique et tout ce qui est lié aux préparatifs matériels.
Quant à la préparation spirituelle à savoir le ‘’jak rii’’, il revient au prêtre de s’en occuper. Dans sa posture de médiateur entre les ancêtres et les vivants, il est chargé de contacter les esprits, d’assainir le lieu du deuil afin de le libérer des esprits négatifs et d’empêcher des éventuels incidents ainsi que le blocage des pratiques obscènes qui pourront être observées. Par exemples, si le lieu a été effectivement préparé par le prêtre, l’on ne notera aucune bagarre, aucun homme ne peut avoir une érection pénienne, aucun cas de disparition des biens et/ou de personne, […] durant toute cette période au lieu du deuil.
Il faut cependant, signaler que durant toute cette période, le prêtre ne se présente pas au lieu du deuil. Il est dans son temple, assis sur la peau ‘’travaillée’’, pour contrôler la situation de manière spirituelle.
Entre temps, la famille, mais alors la grande famille du défunt se concertent, se partagent les taches, et étudient les mesures d’application des dernières volontés du défunt, les pratiques coutumières à respecter etc. une fois que les choses sont prêtes, on tient informer le roi des dispositions prises. Alors, celui-ci ordonne la tenue des cérémonies funéraires.
La cérémonie en elle-même se déroule en quatre phases principales : la phase de lamentations, la phase de collation, la phase d’accompagnement du mort, le conseil familial.
1. La phase de lamentation (cii matta)
C’est le premier moment de la cérémonie funéraire. Elle consiste à pleurer le mort. En effet, toute personne arrivée au lieu du deuil, surtout le membre de la famille, se lamente, exprime son désarroi, en souvenir de la bonne relation avec le disparu et de ses bonnes œuvres. Ici, on s’assoit à même le sol, on se fait malheureux afin d’exprimer le vide laissé par la disparu de l’un de leur. Un ami, celui avec qui ils entretenaient des « blagues », une relation particulier appelé ‘’gura dans la société s’approprie l’entrée de la maison. En lamé on dit que c’est lui ‘’le propriétaire du deuil’’ –‘’bə cii matta’’ ou ‘‘gang matta’’
En ce moment, on fait sortir les affaires du disparu telles que les accoutrements, les brodequins, pataugas, etc. On accroche gentiment auprès du fauteuil paternel, exhibé là où le défunt avait l’habitude de se reposer en journée. Tout ceci contribue à rappeler le souvenir douloureux créé par la nature.
Le tambour résonne et marque la fin de lamentations, commence alors la vénération. Là, on danse en mémoire du disparu, on l’accompagne par les pas de danse qui peuvent durée toute la nuit. On peut entonner le chant favori du défunt, s’il en avait un, accompagné de ‘’mbling’’, un outil-instrument musical traditionnel à cordes. L’action des doigts coordonnée sur les cordes produit des sons et rythmes agréables à l’oreille : c’est de la musique traditionnelle lamé. Très tôt le matin du jour de funérailles, il faudra accompagner le mort vers le pays des ancêtres car, son esprit était supposé toujours être présent, planant sur la famille.
2. La phase de collation.
C’est l’une des phases la plus délicate. Délicate parce qu’il faut la gérer avec maestria. Elle se fait de façon distinctive car différents repas et vin sont pris dans des différentes conditions. Venons à les spécifier. Les veuves ou veufs doivent être isolés loin du lieu funéraire qui, généralement est le domicile du défunt ou de la défunte. Nous avons donné les raisons de l’isolement dans l’article précédent.
S’agissant de l’immolation des animaux et de leur consommation, trois catégories d’animaux sont offertes à savoir : le poulet, la chèvre et le bœuf.
- Du poulet
Il est immolé, préparé et mangé exclusivement par les enfants du défunt. En effet, on prépare le poulet et on le sert exclusivement dans une calebasse, on le place sur la tombe du défunt parent, où git-il. Les enfants, s’asseyent par ordre de naissance, autour de la tombe, pieds-nus et prennent ce repas d’adieu fait en l’honneur de leur défunt père. Ils ne doivent pas manger les os du poulet. Ceux-ci sont minutieusement esquivés et collectés après le repas, emballés et enterrés. Signe d’union sacrée entre les frères, qui doivent restés soudés tout en respectant le droit d’aînesse afin d’honorer la mémoire de leur père et la voix de la nature.
- De la chèvre
Quant à la chèvre, elle est immolée pour sa tête et ses pattes. Le sang est versé à l’entrée de la maison. Destinée à la consommation du peuple, la viande peut être grillée et/ou préparée dans une marmite. La tête et les pattes sont minutieusement préparées dans une jarre. Cette soupe est destinée à l’accompagnement du défunt vers la terre des aïeux.
- Du bœuf
Le bœuf est immolé et son sang est destiné aux ancêtres. Il est dépouillé et déchiqueté. La partie céphalique revient au ‘’Gang mat’’ ou chef du deuil et est accrochée à l’entrée de la maison. Ce dernier le ramènera chez lui à coup sûr. Quant au reste de la viande, il est destiné à la consommation du public venu assister la famille meurtrie. Une partie est envoyée chez le roi, accompagné d’une jarre de vin, appelé sum.
Quant au repas des veuves et ou du veuf, il est préparé loin de la maison familiale, car ils sont tenus à éviter tout contact avec les aliments ou breuvage destiné au deuil de leur conjoint(e).
Toutefois, ‘’bə cii matt’’ est chargé du protocole. Il décide du partage et veille au respect d’usage des rites traditionnels.
Après ce régale, on doit balayer, laver la vaisselle, nettoyer toute la maison car, les veuves ou veufs ne doivent rien gouter, encore moins voir les choses consommés lors du deuil de leur conjoint. Ils ne doivent même pas marcher sur les os jetés des repas. Après s’être assuré des bonnes dispositions prises, ils peuvent alors regagner le domicile le jour suivant, mais en étant très attentifs toutefois.
Le peuple lamé fait toujours attention au respect strict de cet interdit traditionnel car, ses effets sont réels.
Toute cette démonstration de la force culturelle du deuil au pays lamé est réservée aux obsèques et funérailles des hommes ordinaires. La mort royale se démarque nettement de par ses pratiques ancestralement sacralisées et entretenues.
3. La phase d’accompagnement de la mort (‘‘ njay matta’’)
Il s’agit à cette phase d’accompagner l’esprit du défunt appelé’’bə mat’’ dans le pays des ancêtres de façon définitive. Il est accompagné par ses proches, généralement ses enfants, ses frères et ses oncles. Ainsi, la soupe des pattes et de la tête de chèvre immolée et un peu de vin traditionnel, sont transportés par les enfants du défunt, loin dans la forêt. Seul l’aîné de la famille avance avec le paquet au lieu du sacrifice et les autres enfants et les personnes qui les accompagnent se tiennent à distance. Il prononce le nom du défunt trois fois de suite et à haute voix. Puis, un grand bruit, suivi d’un vent violent se produit dans cet environnement. Signe de la présence de l’esprit du défunt et des ancêtres en ce lieu. Il dépose alors le paquet, s’en fuit avec tout le monde en direction du village. A cet instant, le propriétaire du deuil (‘’gang matta’’) s’avance en direction des ancêtres (d’où le paquet est déposé), prononce quelques mots d’adieux, à l’attention du disparu et aux ancêtres de l’accueillir parmi eux. Ainsi dit, il se retourne vers les autres compagnons, ils avancent sans regarder en l’arrière. On tourne le dos au défunt de façon définitive.
Il faut noter avec acuité que l’enjeu du rite funéraire traditionnel est très grand. Il permet de couper définitivement le lien avec le disparu, de libérer son esprit qui plane toujours dans sa famille et de laisser les vivants en paix. Il perd définitivement le statut du revenant.
Si l’enfant, mieux l’aîné qui devrait appeler le mort et déposer le paquet n’est pas son fils biologique, il peut être retenu de façon définitive par les ancêtres. Et si en rentrant, l’un de ceux qui sont allés accompagner la mort regarde par curiosité en arrière pour voir ce qui se passe, quelque chose d’horrible ou de fatal peut lui arriver.
Une fois à la maison, on passe la deuxième nuit au lieu du deuil. Toujours sans les veuves/veuf. C’est le lendemain matin qu’aura lieu l’audition du conseil familial. Ultime étape des cérémonies funéraires.
4. L’audition du conseil familial – ‘’ ɓul so’’
Ce jour dit de distribution de la maison, on lave les veuves avec des produits spécifiquement faits - ‘’wok tu’’, on rase leur crâne et on les habille de nouveaux vêtements. On dit qu’on rompt le lien avec l’ex-mari. (ulay hêl). Elles peuvent alors regagner le domicile, sachant que toutes les dispositions susmentionnées ont été prises.
Cette phase est marquée par des témoignages, des requêtes, la présentation du testament oral et la décision du conseil familial. Elle se fait publiquement.
À la conduite du ‘’propriétaire du deuil’’, un moment est accordé pour des témoignages éventuels. Ils peuvent venir soit des amis, soit des membres de famille du défunt.
Les membres de famille s’asseyent ensemble dans un endroit aménagé pour la circonstance, toutes les filles mariées du disparu doivent être ‘’rachetées’’ par leurs époux respectifs. C’est le moment où on reconnait la valeur du beau-fils à honorer la mémoire de son beau-père mais aussi la valeur de la femme (fille du défunt) auprès de son époux. S’il arrive que son mari ne se pas manifeste, cela laisse présager qu’elle n’est pas en bon terme avec son époux et qu’il n’aurait plus d’affection pour elle. « Ce serait alors une source de honte, de railleries pour elle et sa mère, signe de mauvaise éducation reçue ».
Puis, on accorde un temps de recueil aux éventuelles requêtes. S’il y a de dettes contractées par le défunt et qui ne sont pas encore remboursées, c’est le moment de les réclamer publiquement, avec preuves si possible. Mais dans le cas où le prêteur ne souhaite pas se prononcer en public, il contacte la famille de façon discrète afin de soumettre sa requête avec preuve tangible. La famille s’arrange alors à payer la dette du défunt, afin de lui accorder un repos paisible. Dans le cas échéant, la famille peut être poursuivie auprès du tribunal coutumier afin d’assumer cette dette ‘’héritée’’.
Une fois que les témoignages et requêtes sont achevés, on lit le testament du défunt. Ainsi, on donne la volonté du disparu afin que tout le monde et la nature soient témoins, pour éviter des éventuels conflits familiaux.
Ensuite, on présente la décision du conseil familial. Il s’agit de présenter l’héritier principal du défunt, la réattribution des épouses s’il en avait plusieurs, la distribution des enfants aux hommes issus de la famille. Ceci a pour dessein de s’occuper des veuves et orphelins, afin qu’ils ne manquent de rien et que l’éducation des enfants continuent sans heurt : on dit littéralement qu’on déchire la maison du défunt (ngâh soo). Une grande marque d’estime et de solidarité au sein de la communauté lamé.
Cette phase est très cruciale car, elle marque le nouveau départ dans la vie de la famille du défunt. On découvre une ‘’nouvelle famille’’, un nouveau mode de vie et parfois un nouveau milieu de vie. Une loi du développement psychologique s’impose, celle de l’unité et de la lutte des contraires :
‘’L’individu ne rencontre pas souvent tout ce qu’il souhaite dans la vie et les changements du milieu ne se font pas toujours dans le sens qu’il désire, ou dans les habitudes de l’individu ; ce dernier doit résoudre ces contradictions en conciliant ses différentes tendances pour pouvoir s’adapter’’.
Cette phase se clôture par des divers conseils prodigués aux concernés. Ces conseils sont du roi, du chef de la famille et les propos du principal l’héritier. On en profite pour ‘’tirer les oreilles’’ des enfants et femmes par rapport à certaines conduites peu orthodoxes et de leur donner des nouvelles orientations dans leur vie respective. Une sorte de mise en garde avec opiniâtreté.
Des obsèques royales (à suivre…)
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*SOUKSI Ezékiel est psychologue de l’enfant et du développement, spécialiste des sciences de l’éducation. Il est enseignant en service à l’ENIEG de Nkongsamba et professeur associé à l’école normale Catholique de la même ville.
*MOUNTCHI Gilbert est traducteur principal (anglais – français – langues africaines), historien, rédacteur web, réviseur et relecteur. Il est traducteur en service à ZET SERVICES IT (Douala). Il mène de nombreuses recherches sur la langue et culture lamé.
Très intéressant et clair. Merci pour vos efforts pour nous mettre à jour et les générations futures
RépondreSupprimerMerci. Cordialement bro!
SupprimerBravo!!! Allons de l'avant
RépondreSupprimerMerci c'est important de connaître sa culture et beaucoup de courage à vous pour ce sacrifice
RépondreSupprimerMes encouragements
RépondreSupprimerMerci infiniment les pionniers, très ravi d'avoir vous,sinon j'étais moi perdu.
RépondreSupprimerMerci 🙏
SupprimerIntéressant ! Merci de nous faire découvrir cette culture.
RépondreSupprimerIntéressant ! Merci de nous faire découvrir cette culture.
RépondreSupprimerMerci. Cordialement !
SupprimerIntéressant ! Merci de nous faire découvrir cette culture.
RépondreSupprimerMerci , le fait de vous connaître m'enrichi
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