Traduit de l’anglais par Mountchi Gilbert*
RODNEY VENBERG
LE PROBLÈME D’UNE DIVINITÉ FEMELLE EN TRADUCTION
Le révérend Rodney Venberg est un traducteur missionnaire qui a servi la Mission fraternelle luthérienne au Tchad.
La présente description du problème de divinité femelle a été révélé à l’Institut des traducteurs à Yaoundé au Cameroun en aout 1970. Il est particulièrement récurrent dans plusieurs autres langues africaines et démontre le problème d’équivalences culturelles en traduction.
Le problème
La tribu Pévé qui compte environ 400 000 à 500 00 locuteurs est essentiellement installé dans la sous-préfecture de Pala, dans le Mayo-Kebbi, au sud-est du Tchad, en Afrique. Après avoir passé nos deux premières années à faire l’analyse linguistique de cette langue afin de la mettre sous écrit, nous avons commencé quelques travaux de traduction. L’un des problèmes que nous avons rencontré était de trouver un mot pour « Dieu ». Sans aucune hésitation, les Africains avec qui je travaillais ont donné le mot « Ifray ». En cherchant tout juste à savoir la signification de ce mot, j’ai découvert que la première forme du mot était « Yafra » : « Ya » étant le mot pévé désignant « mère » et « fray » désignant « le ciel » ou « les cieux ».
Dans la légende de création de l’homme, il est dit que Dieu (Ifray) a donné naissance à deux enfants : un garçon et une fille. Et c’est à partir de ces deux enfants que la tribu a commencé.
L’utilisation du mot Ifray en lui-même n’a causé aucun problème pour la traduction du mot Dieu. Le problème est survenu lorsque nous avons commencé à chercher un pronom à utiliser lorsqu’on fait référence à Dieu et également dans des traductions telles que « notre père » dans la prière du Seigneur et « Je crois en Dieu le Père… » dans la confession de la Foi des apôtres.
La première solution
Après avoir discuté à maintes reprises du problème, j’ai découvert que les Africains du comité de traduction avec qui je travaillais et qui étaient devenus chrétiens quelques années avant, avaient appris à penser Dieu en être du genre masculin. Ils ont été convertis et enseigné Dieu par les chrétiens d’une tribu voisine, le Moundang. (Dans la langue Moundang, le nom de Dieu est également du genre féminin, Masing. Mais, dans la langue Moundang, le pronom personnel de la troisième personne singulière est ako, qui peut désigner à la fois « il » ou « elle ». L’on peut connaitre ce à quoi ça renvoie seulement par le contexte ou par l’utilisation des marqueurs additionnels adjectivaux.) Ainsi ils ont commencé à penser Ifray comme juste un nom et que Dieu était un être masculin.
Dans la grammaire pévé, les pronoms personnels de la troisième personne singulier sont « mum » pour « il » et « ta » pour « elle », et comme j’ai commencé à travailler malgré ce problème, je me suis demandé, « comment est-il possible que nous utilisons Mum comme étant un pronom faisant référence à Ifray qui porte le genre féminin ? » Ma première réaction était de dire au comité, pourquoi ne pas changer le mot désignant Dieu (Ifray) en Bafray (le père qui est aux cieux), ce qui pourrait résoudre notre problème. Presque sans hésitation (et évidemment vrai), ils ont dit, « Non ! ce serait introduit un Dieu étranger ! » « Eh, bien ! » j’ai dit « la seule solution qui me semble logique est d’utilisé le pronom Ta (elle).
Ils ont eu à discuter du problème pendant un moment et puis ils ont répondu, « ce n’est pas nécessaire. Bien que le mot désignant Dieu dans notre langue est féminin, mais nous ne concevons pas Dieu comme ayant un sexe. Ifray est juste un nom et presque tout le monde à l’église pense que Dieu est « il ». Ainsi, nous pouvons utiliser le pronom Mum (il) et l’idée de Père sans difficulté. En grosso modo, voici la première solution que nous avons suivi.
La solution présente
En suivant cette première solution, cependant, j’ai tout récemment découvert que même si ceci semble correct pour les chrétiens, il sonne certainement étrange à l’oreille des non chrétiens. Parler de Dieu (Ifray) avec des termes tels que « il » et « père » est totalement inconsistant avec leur grammaire et cela va à l’encontre de leur notion de création (après tout un homme a-t-il une fois donné naissance à un enfant ?) Même si certains chrétiens ont appris à parler de Dieu comme Mum (il) lorsqu’ils sont à l’église, mais dans leurs conversations courantes hors de l’église, ils utilisent le pronom Ta « elle ». Ainsi, il semblerait être un langage spécialement parlé au sein du « groupe » mission/église et lorsqu’un évangéliste sort de ce groupe, les gens étaient très surpris et certains même amusés par leur utilisation du langage. « Ces personnes ont-ils perdu la raison et ne savent plus parler ? » « Est-il nécessaire de changer notre langage pour devenir chrétien ? » Ils se renseignaient constamment.
D’autres solutions
Adopter cette solution pour les pronoms nous laisse toujours dans le problème de l’idée de « père ». Nous ne pourrions pas très bien utiliser l’idée de « mère » dans plusieurs cas, étant donné que la « mère » de Jésus était Marie. Ainsi, s’agissant de la prière du Seigneur, nous avons simplement dit « Notre Dieu (Ifray) qui est aux cieux ». Il serait également important de noter qu’à ce sujet dans des pétitions, nous avons également employé le genre féminin aux pronoms personnels de la deuxième personne du singulier. (En pévé, lorsque vous demandez à quelqu’un de vous donnez quelque chose, on utilise « a », mais lorsque vous demandez à une femme de vous donnez quelque chose, on utilise ng (nj), à cet effet, l’expression « donne nous notre pain de ce jour » commence avec « ng » et non « a » comme dans notre première traduction.)
Un autre problème est l’expression « le Dieu et père de notre sauveur Jésus Christ » qui apparait dans les premiers versets de plusieurs épitres (1 Cor. 1 :3, Eph. 1 :2-3, 1 Pierre 1 :3 etc.). Si nous l’avons traduit mot à mot en Pévé, les gens pourront facilement croire que Jésus avait deux parents, « Dieu » Ifray (féminin) et un père (probablement Joseph) (ou d’autre dieu) ou encore celui que nous bénissons, « Dieu (Ifray) ou Joseph (le père) de Jésus. Dans ces cas, il a été suggéré que nous laissons simplement l’idée de père et utiliser tout juste le mot « Dieu » (Ifray) ou dans d’autres cas « Bénis soit celle qui nous a donné Jésus Christ ».
Un troisième problème similaire était la traduction de la « Foi chrétienne des apôtres » : « Je crois en Dieu, le père Tout-puissant. » Ici encore nous avons eu deux alternatives : nous pourrions simplement dire « Je crois en Dieu qui a fait les cieux et la terre » ou quelque chose comme « Je crois en Dieu, créatrice qui a fait les cieux et la terre. »
Ainsi, ce qui a commencé à être ce qui semblait plutôt un problème insurmontable (car plus élémentaire à ce que nous avons traduit) semble avoir été résolu de manière satisfaisante et consistante avec la grammaire pévé et bien sûr sans violer aucune vérité fondamentale des écritures.
La prière du seigneur
Une des solutions qui a été suggéré est que nous traduisons la première phrase de la prière du seigneur comme suit : « Dieu (Ifray) qui est aux cieux, nous sommes tes enfants ». En faisant ceci, nous pourrions maintenir la relation parent-enfant et en même temps, éviter le problème de Jésus priant « Notre mère » qui pourrait être interprété comme s’il priait à Marie.
Voici le lien de l'article original en anglais:
http://resources.thegospelcoalition.org/library/the-problem-of-a-female-deity-in-translation
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⃰ Mountchi Gilbert est traducteur (anglais-français-langues africaines), historien, rédacteur web, réviseur et relecteur. Il mène plusieurs recherches sur la langue et culture lamé.
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