Le lamé est une langue transnationale appartenant à la branche tchadique de la famille afro-asiatique, parlée au Cameroun et au Tchad. Tout au long de leur histoire séculaire, ces locuteurs ont été désignés sous plusieurs vocables dont les plus saillants sont entre autres « Pévé », « Lamé », « Kaddo » « Zimé » et « Mesmé ». C’est le lieu pour nous de présenter d’une part ces dénominations dans une perspective historique de leur naissance et d’autre part de déterminer leurs connotations actuelles afin de lever toute ambigüité quant à leur distinction.
1. Différentes dénominations
Pévé
Le nom « Pévé » est la dénomination la plus ancienne du peuple lamé. Il remonterait au XVIe siècle, à l’époque de la migration de ce peuple le long de la rivière Kebbi à partir de la région de Bibémi au Cameroun. Selon la tradition orale et attestée par Eldridge Mohammadou (1972), ce nom leur aurait été attribué par le peuple moundang. Les Pévé recherchaient alors des terres arables (pe) aux abords de la rivière Kebbi qu’ils longeaient presqu’au même moment que les Moundang. Mais lorsqu’ils trouvèrent un endroit propice, ils s’aperçurent que les Moundang les y avaient précédés. Ceux-ci avaient brûlé les herbes à la ronde pour marquer leur territoire. Ils déclarèrent alors « pe ve si » (la terre arable est occupée), les Moundang retinrent Pévé et les appelèrent ainsi. (Tabayrum.blog, 2015)
Lamé
Le nom « Lamé » aurait été donné à ce peuple par les « Peuls », conquérants musulmans venus du Mali. Il tire son origine du mot peul « lami » qui est le participe passé du verbe « lamugo » signifiant « régner ». Dans la tradition orale et attesté par l’historien Eldridge Mohamadou (1972), les peuls dans leurs conquêtes expansionnistes, arrivèrent au pays Pévé à la fin du XVIIe siècle. À leur arrivée, ils trouvèrent une société bien stratifiée avec un roi (Dju ou Jwǝ), et des notables (Gaŋ), une organisation quelque peu analogue à la leur et bien plus puissante. Ne pouvant pas vaincre les Pévé, qui étaient des redoutables guerriers, ils finirent par reconnaitre le royaume Pévé et nouèrent une alliance avec eux. Ils ont donc déclaré en fulfulde « bee don lami », littéralement « ils règnent sur leurs trônes ». Lamé serait donc la déformation de ce terme qui devient en même temps le nom du royaume et qui progressivement a remplacé pévé.
Sachnine (1982 : 17) s’est également inscrit dans la même logique lorsqu’elle déclarait :
Il semblerait, en effet, que le terme lamé ait été introduit par les peuls pour désigner les pévé qui occupent actuellement la région de Lamé (Tchad) ainsi que quelques villages à l’est de la réserve de Bouba Njidda (Cameroun) et qui se rattachent linguistiquement au groupe zimé. »
Kaddo
Le terme « Kaddo », est une déformation de « Kurdes », non pratiquants de la religion musulmane. Cela s’explique sans doute par le fait que les Lamé ont opposé une farouche résistance à la pénétration peule au XIXe siècle précisément dans la région de Pala au Tchad. Mais les Lamé prononceront plutôt « ka’ɗaw » qui veut dire « un seul » dans le sens de « unique en son genre ». Kaddo est toutefois péjoratif et est à proscrire de l’usage.
Zimé
Le terme « zimé » (appellation tchadienne) serait le nom le plus récent. Il a été utilisé par les colons pour désigner le groupe herdé de la localité de Pala. Ce terme « zimé » serait en réalité, une combinaison de « zii » (guerroyer, lutter) et « mȇ » (famine). Ce qui signifie « combattant de la famine ». En effet, interrogés sur leurs origines, ils ont déclaré que nous sommes « les combattants de la famine », allusion faite sans doute à leur abondance en produits agricoles. Il demeure à ce jour, le terme générique le plus utilisé au Tchad.
Mesmé
Le terme « mesmé » est une autre appellation des Zimé de Kélo et de ses environs, il serait sans doute émis à la même période que le vocable zimé. Pour l’état actuel, nous n’en disposons pas assez d’information sur cette appellation.
2. Connotations dénominatives actuelles
Aujourd’hui on peut se dire sans risque de se tromper que la question de dénomination ne se pose plus au sein de la communauté lamé du Cameroun. L’appellation « lamé » fait l’unanimité et désigne à la fois la langue, le peuple et la culture. C’est pourquoi nous avons par exemple le Comité pour la Promotion de la Langue et Culture Lamé (CPLCL), l’Association des Jeunes Élèves et Étudiants Lamé (AJEEL), l’Association des Écrivains et Chercheurs de langue Lamé (AECLP) ou encore des plateformes d’échanges virtuels comme « 100% Lamé », « Lamé sans Frontière », « Lamé du Cameroun et du Tchad », « Parlons lamé » pour ne citer que ceux-là.
Au Tchad par contre, cette question est bien plus perceptible. Les locuteurs de la sous-préfecture de Lamé par exemple, pour trois raisons principales notamment leur proximité géographique avec le « pays Lamé du Cameroun », l’usage d’une même variété dialectale (le pévé en l’occurrence) et le partage d’une histoire commune avec leurs frères du Cameroun acceptent volontiers l’appellation lamé. Leur adhésion peut également se justifier par le fait que lamé désigne également leur sous-préfecture.
Par contre, pour faire ombrage à leurs frères Zimé des localités de Pala et Kélo, ils préfèrent utiliser l’appellation Pévé. C’est dans cette optique qu’ils ont créé par exemple l’Association Chrétienne pour la Littérature Pévé (ACLP). Mais toutefois Zimé reste la dénomination officielle au Tchad. Et à Erin Shay (2019:2) de renchérir :
The Pévé people does not accept the name Zimé as their own dialect, since zimé is the language that they don’t understand and a culture whose customs they don’t share. The zimé (Herdé) of Chad do not want to be termed Lamé because this would lead to the classification with the Canton Lamé even though their own canton is Canton of Herdé.
Le peuple Pévé n’accepte pas le nom Zimé pour désigner leur dialecte car zimé est une langue qu’il ne comprend pas et une culture dont il ne partage pas la tradition. Les Zimé (Herdé) du Tchad n’acceptent pas être appelés Lamé car cela conduirait à leur inclure dans le Canton de Lamé, pourtant ils ont leur propre canton, le Canton de Herdé. [Notre traduction]
En définitive, la multiplicité des dénominations du peuple lamé s’explique par le fait que toutes sont antérieures aux différentes vagues migratoires successives qu’a connu ce peuple et qui date de plus de six (06) siècles. C’est pourquoi, il est évident que le groupe du Cameroun par exemple ne se sent pas concerné par des dénominations telles que Zimé, Kaddo, mesmé, ngeté, herdé, batna, Pala-Houa, dabrang, sorga, etc. De même que le groupe de Pala et Kélo au Tchad, pour ne citer que ceux-là, peuvent ne pas s’identifier dans les appellations telles que Lamé et Pévé, qui sont plus Camerounais.
En tout état de cause, quel que soit l’appellation utilisée, il est important de noter qu’elles renvoient toutes au même peuple, à la même langue et à la même culture.
Pour pallier à ce problème, de nombreuses consultations ont été initiées pour assurer l’harmonisation et l’adoption d’une dénomination commune mais les résultats restent vivement attendus.
* Extrait de: Mountchi Gilbert. (2020), Genre et concept de Dieu dans la traduction du Nouveau Testament et Psaumes en lamé, Mémoire de master, ASTI, Université de Buéa.
Analyse claire et limpide. Merci
RépondreSupprimerTrès intéressant
RépondreSupprimerMerci
SupprimerC'est intéressant. Je décerné une mention honorable a cette thèse.
RépondreSupprimerTrès constructif frère. Va de l'avant
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